La religion du progrès
Conférence du 22 avril
Condorcet
Il ne resterait enfin qu’un dernier tableau à tracer, celui
de nos espérances, des progrès qui sont réservés aux générations futures, et
que la constance des lois de la nature semble leur assurer. Il faudrait y
montrer par quels degrés ce qui nous paraîtrait aujourd’hui un espoir
chimérique doit successivement devenir possible et même facile ; pourquoi,
malgré les succès passagers des préjugés, et l’appui qu’ils reçoivent de la
corruption des gouvernements ou des peuples, la vérité seule doit obtenir un
triomphe durable ; par quels liens la nature a indissolublement uni les
progrès des lumières et ceux de la liberté, de la vertu, du respect pour les
droits naturels de l’homme ; comment ces seuls biens réels, si souvent
séparés qu’on les a crus même incompatibles, doivent, au contraire, devenir
inséparables, dès l’instant où les lumières auront atteint un certain terme
dans un plus grand nombre de nations à la fois ; et qu’elles auront
pénétré la masse entière d’un grand peuple, dont la langue serait universellement
répandue, dont les relations commerciales embrasseraient toute l’étendue du
globe. Cette réunion s’étant déjà opérée dans la classe entière des hommes
éclairés, on ne compterait plus dès lors parmi eux que des amis de l’humanité,
occupés de concert d’en accélérer le perfectionnement et le bonheur.
Cournot:
Aucune idée, parmi celles qui se réfèrent à l’ordre des faits
naturels, ne tient de plus près à la famille des idées religieuses que l’idée
de progrès, et n’est plus propre à devenir le principe d’une sorte de foi
religieuse pour ceux qui n’en ont plus d’autre. Elle a, comme la foi
religieuse, la vertu de relever les âmes et les caractères. L’idée du progrès
indéfini, c’est l’idée d’une perfection suprême, d’une loi qui domine toutes
les lois particulières, d’un but éminent auquel tous les êtres doivent concourir
dans leur existence passagère. C’est donc au fond l’idée du divin ; et il
ne faut point être surpris si, chaque fois qu’elle est
spécieusement invoquée en faveur d’une cause, les esprits les plus
élevés, les âmes les plus généreuses se sentent entraînés de ce côté. Il ne
faut pas non plus s’étonner que le fanatisme y trouve un aliment, et que la
maxime qui tend à corrompre toutes les religions, celle que l’excellence de la
fin justifie les moyens, corrompe aussi la religion du progrès". (Antoine
Augustin Cournot, Considérations sur la marche des idées et des événements
dans les temps modernes (1872) Livre VI, chap. 6)
Marcellin Berthelot (1896)
« Dans ce temps-là, il n’y aura plus dans le monde ni
agriculture, ni pâtres, ni laboureurs : le problème de l’existence par la
culture du sol aura été supprimé par la chimie ! Il n’y aura plus de mines
de charbon de terre, ni d’industries souterraines, ni par conséquent de grèves
de mineurs ! Le problème des combustibles aura été supprimé, par le
concours de la chimie et de la physique. Il n’y aura plus ni douanes, ni
protectionnisme, ni guerres, ni frontières arrosées de sang humain ! La
navigation aérienne, avec ses moteurs empruntés aux énergies chimiques, aura
relégué ces institutions surannées dans le passé ! Nous serons alors bien
prêts de réaliser les rêves du socialisme… pour que l’on réussisse à découvrir
une chimie spirituelle, qui change la nature morale de l’homme aussi
profondément que notre chimie transforme la nature matérielle !
Voilà bien des promesses ; comment les réaliser ? C’est ce que je
vais essayer de vous dire.
Le problème fondamental de l’industrie consiste à découvrir des sources d’énergie
inépuisables et se renouvelant presque sans travail.
Déjà nous avons vu la force des bras humains remplacée par celle de la vapeur,
c’est-à-dire par l’énergie chimique empruntée à la combustion du charbon ;
mais cet agent doit être extrait péniblement du sein de la terre, et la
proportion en diminue sans cesse. Il faut trouver mieux. Or le principe de
cette invention est facile à concevoir : il faut utiliser la chaleur
solaire, il faut utiliser la chaleur centrale de notre globe. Les progrès
incessants de la science font naître l’espérance légitime de capter ces sources
d’une énergie illimitée. Pour capter la chaleur centrale, par exemple, il
suffirait de creuser des puits de 4 à 5 000 mètres de
profondeur : ce qui ne surpasse peut-être pas les moyens des ingénieurs
actuels, et surtout ceux des ingénieurs de l’avenir. On trouvera là la chaleur,
origine de toute vie et de toute industrie. Ainsi l’eau atteindrait au fond de
ces puits une température élevée et développerait une pression capable de faire
marcher toutes les machines possibles. Sa distillation continue produirait
cette eau pure, exempte de microbes, que l’on recherche aujourd’hui à si grands
frais, à des fontaines parfois contaminées. À cette profondeur, on posséderait
une source d’énergie renouvelée. On aurait donc la force partout présente, sur
tous les points du globe, et bien des milliers de siècles s’écouleraient avant
qu’elle éprouvât une diminution sensible. »
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